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[Interview] Julie Dachez, diagnostiquée autiste Asperger à l'âge de 27 ans, est maître de conférences à l'INSHEA depuis septembre 2019.

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Photo de Julie Dachez. Jeune femme brune aux cheveux très courts et yeux marrons. Souriante. Julie Dachez est maître de conférences en sujet et société inclusive à l’INSHEA depuis la rentrée 2019. À 34 ans, elle a été diagnostiquée autiste Asperger il y a seulement 7 ans, et cela a changé son regard sur elle-même et sur le monde. 

Passionnée de sciences humaines et sociales, elle est autrice transmedia et s'exprime aussi bien sur son blog que sur Youtube, qui combinent à eux deux plus de deux millions de vues. Elle a également publié une BD autobiographique (en collaboration avec Mademoiselle Caroline), La différence invisible, parue aux éditions Delcourt en septembre 2016, et elle est l’autrice de Dans ta bulle! aux éditions Marabout, paru en avril 2018. Elle nous parle de son parcours et de ses aspirations. 



J'ai un parcours assez atypique : je suis diplômée d'école de commerce (bac +4 à Kedge Marseille et Master à l'ESCP à Paris), j'ai travaillé quelques années dans le privé avant de me lancer dans un doctorat. Je ne me suis jamais sentie à ma place dans le monde de l'entreprise mais je dois bien avouer qu'y travailler a été extrêmement formateur. Et aujourd'hui, quand je donne des conférences ou des formations en entreprise, c'est un atout de comprendre leurs problématiques et leur fonctionnement, que j'ai vécus de l'intérieur. 

C'était un sacré pari de me lancer dans une thèse, et plus encore de choisir d'aborder l'autisme du point de vue de la psychologie sociale plutôt que clinique. Je l'ai fait par passion, et parce que je me sentais investie d'une mission. En ce sens mon diagnostic a été un catalyseur, il m'a permis de repenser ma vie et de lui donner une toute autre tournure : tout ce que j'ai fait / je fais depuis a un sens pour moi, et est orienté vers le bien commun.
Il m'a aussi permis d'apprendre à me respecter, à prendre soin de moi et de mes limites. Je sais ce qui est bon pour moi (et à l'inverse ce qui ne l'est pas !), et je m'écoute. Aujourd'hui je suis solide sur mes fondations, ce qui n'était pas du tout le cas il y a encore quelques années.

Bande dessinée. 7 bulles et 2 personnages : un homme et une femme.  Première bulle : la femme appelle l'homme au téléphone, elle est dans un parc. « Allô ? Florian ? ça y est je suis sortie… » L’homme répond au téléphone : « Alors ? »  Deuxième bulle : Elle : « Alors ça y est c’est officiel. Je suis Asperger. ». Lui : « Tu m’étonnes… »  Troisième bulle : Elle : « Je suis super contente »  Quatrième bulle : Lui : « oui enfin… t’es quand même autiste hein ! »  Cinquième bulle : Voix off : « Autiste, oui. Mais pour Marguerite, ça n’est pas péjoratif. Son identité est enfin complète. Sa fatigue constante, ses difficultés à saisir le second degré ou l’implicite, à nouer des relations, tout cela s’explique en fait parfaitement. Quel soulagement. »  Sixième bulle : Elle et lui se retrouvent dans leur appartement en couple. Elle : « Champagne !! ». Lui : « Eh ben… ça doit vraiment être une bonne nouvelle… ».  Septième bulle : Elle : « Mais oui ! C’est normal que je sois anormale… c’est génial ! ». Lui, l’air dubitatif « Génial ! »..

Extrait de La Différence Invisible, par Julie Dachez et Mademoiselle Caroline (aux éditions Delcourt, 2016). 

Après mon école de commerce, j'avais tiré un trait sur la possibilité de devenir enseignante chercheuse. Les places sont chères, les candidats de plus en plus qualifiés, et être ouvertement autiste n'était clairement pas un atout. Déjà dès ma soutenance de thèse on m'avait reproché cette soi-disant « subjectivité », alors que tous les chercheurs sont subjectifs ! La neutralité est un mythe et il est nécessaire d'avoir conscience de ses propres biais pour travailler à l'objectivation de ses recherches. 
Lorsque j'ai postulé à l'INSHEA, j'ai été séduite par le projet de l'établissement, et j'ai eu la sensation que ma posture de personne concernée pourrait être vue comme un atout plutôt que comme un inconvénient. Ici, le fait d'être directement concernée, et qui plus est militante, me rend doublement légitime à travailler sur la question du handicap alors que dans d'autres structures cela me desservait. Et pour les étudiants et stagiaires, c'est une valeur ajoutée d'avoir face à soi quelqu'un qui peut à la fois apporter du savoir froid (théorique) et du savoir chaud (basé sur l'expérience). 
L'audition a été une épreuve pour moi, mais j'ai vraiment senti la bienveillance du jury et ça m'a beaucoup aidée. Aujourd'hui, je suis ravie d'avoir rejoint cette équipe !

 

Julie enseigne aujourd'hui la psychologie du travail dans le Master 2 « Direction, pilotage et coordination dans l'intervention sociale et médico-sociale », la communication et l'inclusion auprès des étudiants du Master 1 « Conseiller en accessibilité », et elle intervient aussi dans des formations sur l'inclusion des personnes en situation de handicap dans l'entreprise. 

Couverture du livre Dans ta bulle de Julie Dachez. Les autistes ont la parole : écoutons-les ! Préface de Josef Schovanec.

Bonus

« L'autisme en soi n'est pas handicapant. C'est l'inadaptation de la société à notre façon d'être qui crée des situations de handicap. », extrait du livre Dans ta bulle. Elle y relate sa dernière année de thèse, prétexte pour aller à la rencontre d’adultes autistes sans déficience intellectuelle afin d’en dresser les portraits. Si le ton est léger, le propos est quant à lui très engagé et politique !

 Cette citation se base sur le modèle social du handicap, qui invite à aborder le handicap comme une question sociale plutôt qu'individuelle. Plutôt que de chercher à réparer l'individu, essayons de réformer la société. Quels aménagements pouvons-nous mettre en place, à l'école et en entreprise, afin que toutes les personnes puissent y trouver leur place ? Comment rendre accessibles les lieux publics, pour les autistes, les sourds, les aveugles etc. ? Ces questions m'intéressent bien plus que de savoir quels gènes sont impliqués dans l'autisme.